REPORTAGE – Loi recherche : la colère des chercheurs
Malgré le contexte sanitaire, des centaines de chercheurs se sont rassemblés devant l’Assemblée nationale en ce lundi 21 septembre. Ils dénoncent le projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030, dit LPPR, présenté en première lecture aux députés. Pour les enseignants-chercheurs et étudiants réunis, ce programme de financement va précariser davantage les jeunes chercheurs français.
Sur la place Édouard Herriot dans le 7ème arrondissement de Paris, les barrières peinent à tenir la foule. Les policiers sont surpris par le nombre de chercheurs et étudiants en blouses blanches rassemblés devant l’Assemblée nationale. Agrippés les uns aux autres, ils chantent sans distanciation leur rejet de ce programme de financement de la recherche. Cette mesure présentée par le gouvernement comme « un investissement inédit » ne convainc pas les chercheurs présents. « Les 25 milliards promis ? C’est de la poudre aux yeux ! », s’exclame Cendrine Berger, co-secrétaire générale de la CGT FERC Sup. « C’est clairement écrit dans le programme de financement public, la majeure partie des fonds seront pour la recherche privée. Il n’y a rien pour endiguer la précarité des jeunes chercheurs, bien au contraire ! », ajoute-t-elle en serrant dans son poing une pile de tracts intitulés ‘STOP LPPR PRÉCARITÉ ! @FACS ET LABOS EN LUTTE’.
« C’est devenu le système à l’anglo-saxonne que nous redoutions tous. Il y a un ‘turnover’ permanent dans la recherche française »
Alain Roques, directeur de recherche INRA
L’objet principal de leur colère est la création d’un nouveau contrat pour les futurs doctorants : l’ATEn, l’attaché temporaire d’enseignement. « Les jeunes ne seront plus des enseignants-chercheurs, mais uniquement des fournisseurs de cours. C’est un contrat à temps plein, plus de 384 heures de cours qui n’est rattaché à aucune unité de recherche pour les soutenir ! Ces doctorants ne pourront pas finir leur thèse et partiront du milieu de la recherche avant même d’y avoir mis un pied », explique Sophie Pochic, directrice de recherche en sociologie du genre au CNRS. « C’est devenu le système à l’anglo-saxonne que nous redoutions tous. Il y a un ‘turnover’ (ndlr : rotation sur un poste) permanent dans la recherche française », explique Alain Roques. Ce directeur de recherche sur les insectes envahisseurs à l’INRA dit se sentir coupable d’une telle situation : « Chaque année, je forme deux à trois doctorants dans mon centre de recherche. À la fin de l’année, je ne peux pas leur proposer de poste faute de budget alloué pour des CDI et même pour des CDD. On les laisse dans la nature, quitte à ce qu’il parte à l’étranger ou renonce à la recherche publique ».
« Bienvenue en Absurdie ! »
Les étudiants eux aussi sont inquiets. Pour Barth Piron, militant à l’UNEF et étudiant en master 1 d’histoire à Nanterre, le problème ne date pas d’hier : « Nos chargés de TD sont souvent dans une situation plus précaire que nous. En plus de cela, ils arrivent pour enseigner en licence sans avoir été formés, et même sans savoir la matière qu’ils vont devoir nous enseigner ». Quand on lui demande s’il pense se lancer dans la recherche après son master, sa réponse est claire : « Non je ne pourrais pas. C’était mon rêve en faisant des études d’histoire, mais j’ai bien vu la réalité. Il n’y a pas d’investissement dans la recherche historique. Ça n’est même pas la peine d’essayer ».
Ce désarroi est partagé par les professeurs titulaires qui voient leur métier se transformer. « En 5 ans, je suis passé de chercheur à chef d’entreprise. J’ai deux fois plus de rendez-vous pour essayer de trouver des investisseurs qu’au sein même de mon équipe de recherche. Et la LPPR veut renforcer la compétition en doublant le quota d’appels à projets dans la recherche publique ? Bienvenue en Absurdie ! », se désole l’immunologiste et militant au FSU, Gérard Chaouat. Pour ce chercheur émérite au CNRS-INSERN, la pandémie a mis en avant le manque d’investissement dans la recherche médicale française. L’exemple le plus criant : la réduction constante du financement des travaux de Bruno Canard sur les coronavirus en 2004. En cause pour les autorités : pas assez de rentabilité à court terme. « Cette pandémie montre qu’on ne sait pas de quoi sera fait demain ! Si l’État continue d’encourager les investissements dans des projets rentables à première vue, toute une partie de la recherche française va s’effondrer » dénonce-t-il en enlevant son masque noir, pour dit-il, « qu’on nous entende enfin ! ».
Plusieurs députés présents avec les manifestants
Alors que le ministère de la Recherche n’a pas donné suite aux nouvelles tractations des syndicats, plusieurs députés sont venus assurer leur soutien aux manifestants. « Le Covid-Néolibérale continue plus que jamais de sévir ! Ils ont profité du confinement pour faire passer en force ce projet de loi à l’assemblée », atteste le député LFI de Seine-Saint-Denis, Éric Coquerel. « Alors que beaucoup de scientifiques expliquent qu’ils n’avaient plus les moyens pour faire des recherches sur le virus, leur loi n’a changé en rien ! Pas une virgule ! En réalité il continue de paupériser la recherche publique. Et c’est indexer directement au profit des grands laboratoires à qui l’État donne des millions ! », affirme-t-il d’une voix forte au mégaphone. « Cette loi va encore plus malmener l’effort de recherche de notre pays ! Elle installe encore plus de précarité en créant ce CDI de mission et en mettant de plus en plus les labos en concurrence avec les appels à projets », appuie la députée communiste Marie-George Buffet. « Quoiqu’il arrive nous serons là pour traduire votre mobilisation à l’Assemblée », ajoute-t-elle sous les applaudissements des chercheurs.
Quelques minutes après le départ des députés, une ligne de CRS est en place. Les enseignants et syndicats sont pris de court. Les quelques équipes de télévisions sont invitées à quitter le périmètre. Plusieurs chercheurs et étudiants décident alors de partir, sentant la tension monter. Alors qu’un policier tente de refermer une barrière sur un chercheur âgé, une jeune étudiante la repousse et le fait sortir en criant « Même ici ils tentent de nous enfermer ! ». Une crise sanitaire se couple désormais à la crise sociale de l’enseignement supérieur.